La vie sans fard

Le fil rouge de mes lectures actuelles est la vérité : sa recherche entêtée et obstinée, son écriture. Je m’en suis rendu compte a posteriori, en feuilletant les derniers ouvrages achetés (en ce moment entre 1h00 et 4h00 du matin, mais je ne cracherai pas sur cette précieuse insomnie là…) .

La vie sans fards de Maryse Condé s’inscrit sans conteste dans cet axe.

L’écriture de Condé révèle un désir acharné, viscéral de vérité, en passant, en un battement de cils de la mortification à l’outrecuidance (les deux n’étant absolument pas contradictoires…). Il faut dire que j’ai lu « La vie sans fard » avec en tête, l’image de Condé claquant rageusement la porte de la Guadeloupe il y a quelques années, furieuse de ne pas y avoir été traitée comme une personnalité de son envergure. Je m’étais dit à l’époque, certes… mais quel manque d’humilité… Ce background ne m’a pas empêché de trouver la volonté de vérité et la sincérité du livre très émouvantes.

 Je ne m’étais jamais imaginé la vie de Condé dont j’ai lu quelques œuvres. Ce que l’on découvre est proprement inimaginable, il était donc inutile de se perdre en divagations stériles de l’esprit. C’est une vie difficile, riche en contradictions, en errances qui est donnée à voir. En errances des corps et des cœurs. Le livre en est une sorte d’explication, une notice, une longue lettre d’excuse aussi. L’auteure semble ranger, mettre de l’ordre avant de partir ou de mourir, afin de ne pas laisser de malentendus, de mésinterprétations.

Dans « La vie sans fard », c’est la femme à nu qui s’expose, ouvre des cicatrices, partage des blessures, raconte la construction plurielle de la femme qu’elle est devenue, son éveil politique dans une Afrique post coloniale où l’on perçoit le « doux » glissement des révolutions aux dictatures. On ressent la culpabilité d’une mère consciente de ne pas appliquer les recettes des manuels, mais il est trop facile de juger une mère et je ne tomberai pas dans ce piège tendu… Par ailleurs, le livre est « très écrit », comme si l’auteure ne voulait pas laisser de place à notre imagination mais souhaitait nous accompagner jusqu’au bout dans notre réflexion, ne pas susciter d’autres jugements que ceux qu’elle émet, nous provoquer aussi quelque peu. 
La rencontre entre les cultures antillaises et africaines n’aura pas coulée de source pour Condé, comme pour d’autres.

« L’Afrique n’est ni impénétrable ni indéchiffrable comme tu le dis ! me rudoyait-elle. Elle possède des règles, des traditions, des codes, faciles à saisir. C’est que tu y cherches autre chose (…) Une terre de faire valoir qui te permettrait d’être ce que tu rêves d’être. Et sur ce plan, personne ne peut t’aider ».

C’est aussi l’histoire d’un esprit torturé qui erre de terres en terres à la recherche de réponses à des questions indicibles mais profondes, existentielles. En même temps, on y découvre la naissance de l’envie, du désir et la concrétisation de ce désir d’écrire, et on ne peut s’empêcher de s’interroger sur le rôle de la mémoire, sur la façon dont celle-ci a remanié, raccommodé les faits.

 « J’étais si occupée à vivre douloureusement que je n’avais de loisir pour rien d’autre »  
«  Je suis sortie de cette épreuve à jamais écorchée vive, ne possédant guère de confiance dans le sort, redoutant à chaque instant les coups sournois du destin »
« Ainsi donc, vous venez de la Guadeloupe ! Vous êtes donc une des petites sœurs que l’Afrique avait perdue et qu’elle retrouve (…) je ne possédais pas l’aplomb de cette dernière qui osa remplacer le mot « perdue » par le mot « vendue » ».
« C’est une erreur de croire, fit-il, que le peuple est naturellement prêt pour la révolution. Il est lâche, le peuple, matérialiste, égoïste (…)».

« Cependant, la vie continuait son train de mégère boiteuse, alternant nuits de passion, les journées de déprime, des heures studieuses quand se produisit un évènement considérable qu’à aucun moment, nous n’avions prévu ».

Laisser un commentaire