Dans le creux de mes reins

Je me couchai comme toujours avec mon éternel et somme toute amical petit spleen serré contre mon sein et ma mélancolie chevillée au corps. Rapidement, le sable d’un généreux marchand emplit mes paupières et me brouilla le regard, faisant se mouvoir et trébucher follement les lignes de mon roman du soir. Je sentis ma tête, de plus en plus lourde, s’enfoncer dans l’oreiller moelleux et mon corps se perdre dans les draps frais.
Cette nuit là, je dormis comme une enclume.
Devant le jour, j’émergeai des bras de Morphée.
Un chasseur avait visité mon sommeil. Mon petit spleen était ensanglanté aux pieds de mon lit, les jambes repliées sous lui dans une étrange posture de supplication, les yeux révulsés, la bouche béante laissant échapper un filet de bave épaisse. Ma mélancolie strangulée gisait de tout son long sur le tapis de laine blanche et moelleuse, la tête auréolée d’une large tache de sang carmin, les yeux clos, les mains jointes.
Un petit bonheur se serrait dans le creux de mes reins.  J’eus un petit rire cristallin, léger, comme je n’en avais pas eu depuis longtemps. Je m’habillai prestement, avec une hâte de croquer la vie qui m’avait depuis longtemps désertée. J’appelai mes amis, mon exil en Nostalgie était terminé, le cœur léger, je revenais parmi eux. Une étrange petite musique me parvenait de je ne sais où, semblant vouloir rythmer mon allégresse. Elle était de plus en plus forte et intrigante et entêtante. Il était 7 h 00 et la sonnerie du réveil m’arrachait de mes délicieux rêves ensanglantés.

Picture: Kalalou. KhoKho René Corail, exposition sous la direction de Renée Paule Yung Hing, Conseil Régional de la Martinique, Décembre 2008