Even bastards go to Sunday’s church

You saw me, liked me, took me. I saw you, trusted you, followed you. I let me touch me softly. I was happy, you were satisfied. When the little bell in my head rung isn’t this too fast? I stopped it, your arms were strong and soft, and you were in church every Sunday. How could this be wrong?

You ate me, kissed me, tasted me. I held you, danced you, hugged you. I let you drink me softly. I was glad, you were on my rhythm. When you proposed one month after dating, the little bell rung in my head. Isn’t this too prompt? I stopped it, your fever was nice and warm. You were praying every day. How could this be wrong?

You invited me, showed me your son, introduced the cats. I imagined the mother in law, the cat lovers, the gardener I would be. You offered me your world, quietly. I was in joy, you were thrilled. When you told me on our first day out that you were in love, the little bell on my head rung. Isn’t this too soon? I stopped it, your house was pretty, your son was adorable. You read the church news every morning how could this be wrong?

You left me, ghosted me, ignored me. I cried and I drunk and I wanted to die. I saw this dark haired woman, your new lover sit in your sofa, your cats on her knees, stroking your son’s hair, feeding him candies. You didn’t feel passion for me you said placidly. I was devastated, you had simply moved on. Didn’t I tell you? The little bell in my head rung. Even bastards go to Sunday’s church.

May I die?

Be quiet my heart, be quiet to death. Stop beating today, today is the day I die

Be wise my eyes, you’ve cried to many rivers, be wise and let the darkness wrap me

Be nice my ears, you’ve heard the bird singing, the violin crying, be nice and let’s the silence peace me

Be tired my legs, you’ve stepped on so many unknown lands, be tired and let’s the stilness brace me

Be cold my skin, be cold like stone. You’ve been sweaty so often, be cold and let’s the ice hug me

Be slow my breath until my lungs stop moving, be steady my ribs and let’s the rigor freeze me

Be satisfied my papillae you’ve tasted so rich dishes, be reasonable papillae and let my death fill me

Stand still my body you’ve shivered enough, because today is the day, the day I don’t breath, I don’t cry, I die

…and all is fine

Faute de langue

Cet espace est en dents de scie. Haut ou bas, occupé ou vide. Il se trouve qu’en ce moment particulier de ma vie, l’envie d’écrire est revenue. Mais la langue est difficile. Comment écrire lorsque l’anglais est la langue de tous les jours, tout en étant la langue professionnelle: une langue très incisive dans le secteur professionnel mais qui manque toujours de précision lorsqu’il s’agit de décrire la vie, le ressenti, les sentiments. Or cet espace est avant tout celui des sentiments. Comment écrire lorsque le français s’appauvri, que le créole est remplacé par un mélange incongru d’anglais et d’espagnol. Je ne sais plus á quelle langue me vouer. Il ne me faudrait qu’une simple semaine pour retrouver ma faconde si je m’immergeais dans un environnement francophone ou créolophone. Juste une semaine d’immersion pour que les langues retrouvent leur place. Il faut le dire j’aime les langues. L’anglais, qui m’a valu les plus mauvaises notes du temps de ma lointaine scolarité est devenue la langue de tous les jours – les mots techniques de ma profession que j’ai appris á l’étranger me sont inconnus en français, ma langue natale. L’anglais reste la langue de la technicité, la langue de la science. L’espagnol, ma langue de cœur, que je m’attelle á reconquérir présentement, a été la première langue étrangère qu’il m’a été donné d’entendre, enfant. Les chants de Cuba, les roulements de r des salsas de mon enfance. Mon père, étendu dans une chaise longue pour la pause post-prandiale écoutant les dimanches après-midi de boléros, de tango et trova de Cuba alors que je m’attelais aux devoirs. Ma sœur de retour de Caracas, puis plus tard d’Espagne nous apprenant á compter jusqu’á diez en espanol pour notre plus grand plaisir. Le créole Martiniquais, la langue autrefois honnie, honteuse, regagne aujourd’hui des lettres de noblesse. Je suis de la génération á qui on exigeait le français polissé, de qui on moquait le créole. Résultat, mon créole reste correct mais pas vraiment académique, et je regarde ébaubie aujourd’hui mes neveux manier notre langue avec la dextérité des enfants bilingues, alors que je balbutie des koumen ki manniè… Le finnois, la langue reléguée au rang du fantasme. « Sama paita joka päivä », la même galère tous les jours. Paska, Satana, Vittu, seuls les jurons me sont restés. Minulleko puhut persereikä? Est définitivement la phrase permettant de décontenancer un finlandais sans se fatiguer. Je me suis jurée qu’avant de mourir, je veux pouvoir construire quelques phrases en finnois (sans jurons). Cela me laisse le temps d’improviser. Je n’ai pas réussi á dompter cette langue durant mon long exil finlandais. Une grammaire trop loin de mes réalités. Les finlandais eux-mêmes découragent les étrangers d’un « c’est trop difficile » et je me suis laisser berner. Mais la revanche viendra. Le suédois, la langue accessible. Deux cours complets, avant de réaliser que je ne peux pas apprendre la langue d’un pays que « je ne sens pas ». La suède n’était pas « chez moi » et les années passées lá bas ne m’ont pas donné l’envie d’approfondir cette langue pourtant á porté de main. Je suis passée á côté de la Suède peut être, ou j’avais mis trop d’espoir dans ce pays et la chute fût rude. Je garde un gout amer sur la langue lorsque je repense á Svenska. Du maori de Nouvelle Zélande, j’ai voulu emporter un souvenir, en apprenant la chanson Pokareare Ana. Je la fredonne á chaque fois que les images, sons, et tendre amitiés de ce beau pays me reviennent en mémoire. De même, le créole Guadeloupéen se rappelle surtout á moi en musique. La douce sonorité de l’expression ti moun an mwen me retourne le cœur á chaque fois. Le créole Guyanais me ramène aux longues nuits sans sommeil d’Awala Yalimapo, lampe frontale sur le front, á gauche la mer, á droite les catalpas, devant, des tortues Luth de 600 kg pondant dans le sable humide. De l’Arabe j’ai retenu shokran. Merci pour Marrakech, la vallée du Drââ, les nuits á la belle étoile sans pollution lumineuse aucune, la parfaite voûte étoilée, le désert et ces 8 jours de réflexion. Le Russe, que j’ai souvent entendu sans le pratiquer, mis á part les essentiels priviat et spasibo, demeure la langue voluptueuse de amours difficiles, des incompréhensions et d’une tristesse non teintée de nostalgie. La langue d’un passé révolu, une langue que je ne renie ni ne regrette. Le polonais reste la langue des ragots. Une langue chuchotée á grand renforts de ch et de sch comme les bondieusardes disent leurs chapelets en face des crucifix. Je retiens essentiellement les intonations d’une langue chantée plus que parlée de mes amis en pleines confidences Dziękuję et dzień dobry Agna et Anna de m’avoir tant faire rire avec ses histoires de carpes de Noël nageant dans des baignoires. Du mina, de l’éwé et du kabiyé, je ne me souviens que des femmes pilant le fufu dans la cours, au rythme sacadé du pilon de bois, de la sauce arachide épinard et des ablo de maïs. Ces langues n’évoquent plus que la nourriture et le goût et la texture de l’igname écrasé sur la langue. Peut-être parce que ce sont des langues nourricières.

6 révisions

Map of a woman’s heart

Kalalou
Freely adapted from Margaret Kimball

I absolutely need to do it gain because I could not find space for some essential landforms:

  • Lake of mutual understanding
  • Atoll of travelling together
  • Land of sex
  • Bay of sensuality
  • Cape of tears
  • Calanque of unanswered questions
  • Cove of unasked questions
  • Dune of Climax
  • Estuary of hands in hands
  • Island of diverging life goals
  • Machair of common view
  • Ocean of geographic conundrum
  • Ria of desire to possess the other
  • Seamount of eagerness
  • Tombolo of jealousy
  • Cirque of desire
  • Canyon of honesty
  • Rapid of honesty

Trois meurtriers

Affabulations sanguinaires

J’ai rencontré au cours de ma vie 3 meurtriers. Accomplis ou putatifs. Réels ou fictifs.

Madame B. était une femme matador. Elle était de tous les combats publiques, de tous les babillages, de toutes les confrontations. Madame B. suscitait à la fois la peur et l’admiration par son courage et sa volonté d’en découdre avec tous ceux qui se mettraient en travers de son désir de vivre sa vie comme elle l’avait décidé. Le jour oú la fille de madame B. arriva à la maison parentale marquée par les coups que son mari violent lui avait porté au visage, le sang de madame B. ne fit qu’un tour. Elle empoigna un bidon d’essence que le malheureux destin avait posé sur son chemin et se dirigea d’un pas résolu vers le pick-up garé devant la maison. La clé était sur le contact car Madame B. me craignait rien ni personne. La voiture, d’habitude poussive, démarra au quart de tour. Le trajet de dix minutes n’altéra ni ne corrompit la haine et la rage de Madame B. et elle arriva à la maison de sa fille, ou le beau fils attendait patiemment son destin funeste allongé dans le sofa. Elle se gara avec grand soin et empoigna lentement le bidon. Au moment ou elle arrivait sur le pallier, son beau fils, ayant entendu le bruit de l’automobile, sortait saluer le visiteur. Les fenêtres étaient ouvertes. C’était une splendide journée ensoleillée. Des oiseaux emplissaient leur becs de graines et les papillons voletaient de fleurs en fleurs. Le beau fils fut asperge d’essence avant d’avoir pu dire un mot et Madame B. fit promptement étinceler le briquet qu’elle gardait toujours dans la poche arrière droite de son pantalon de lin beige.

M. était un photographe amateur, et publiait régulièrement des clichés sur le site communautaire des photographes amateurs de la région. Des forêts de pins embrumées, une jolie petite fille aux joues rondes penchée sur l’eau et des chiens, posant nonchalamment sur des fauteuils de velours. Nous nous étions rencontrés par une belle journée d’automne, alors que le club de photographes amateurs avait publié un appel a immortaliser un vieux teckel noir et feu. M. prenait silencieusement et consciencieusement les photos du petit chien assis dans un fauteuil de bureau couvert d’une belle couverture grise, ajustait les spots lumineux, changeait d’ouverture ou le temps d’application. M. m’avait fait tourner la tête en me parlant de photographie, de champignons et de fleurs. Nous avions randonné dans les forêts boréales. Nous avions mange des pullas, bu du café Jula Mokka, nous nous étions raconté un peu de nos vies, nos pleurs, nos joies et nos frayeurs et avions échoué dans mon appartement de la banlieue de Helsinki sous mes draps de coton et ma couette en nylon. Nous étions aimés dans le silence des amours finlandaises. J’avais réparé ma peau dans la sienne. Il avait bu a grandes goulées l’odeur de mon corps. Après l’amour, nous étions étendu dans la semi-pénombre, dans les bras l’un de l’autre, profitant du silence, du calme et de notre peau à peau. Je l’avais interrogé sur la signification de cet étrange tatouage sur son épaule. Il m’avait répondu sans une once d’hésitation que ce tatouage là, il l’avait fait en prison, tout en resserrant son étreinte autour de mon corps nu. En prison ? Pourquoi donc as tu été en prison ? lui demandai-je perplexe. Enserrée dans les bras chauds, j’avais alors écouté l’alcool, la rage envers ce beau père violent, l’alcool encore, le poignard, le coup porte à la poitrine, la police, la prison. I ate my cake. 5 années de detention.

Ambassade de France d’une capitale étrangère un jour de vote à l’élection présidentielle. J’arrive pour découvrir une queue sans fin et des français bavards et enthousiaste, heureux et fier comme des français de se retrouver entre français, de parler français et de venir remplir leur devoir électoral même si loin de la mère patrie. On parle fort en Français, on s’apostrophe dans la queue. Je m’exclue automatiquement de cette joyeuse débauche nationale. J’ai fait la route depuis une petite ville de taiseux du centre du pays ou les effusions publiques ne font pas partie de la vie locale. Je ne me sens aucune sympathie pour cette foule bruyante. J’ai perdu l’habitude des français après 4 années dans le centre du pays du silence. Le groupe devant moi est compact et solidaire. J’écoute d’une oreille les petites conversations inutiles sur le temps (pas aussi bien qu’en France), sur la gastronomie locale (catastrophique comparée a la France), sur  la culture (tellement froide comparée a la France) et tente de garder mes distances malgré les fréquents regards interrogateurs qui demandent mon assentiment, mon approbation, ma participation à la critique nationale de ce pays qu’ils ont choisi (ou pas) d’habiter, certains depuis plus de 20 ans, mais qu’ils ne considèrent toujours pas comme familier. Les « expats » m’agacent.  Dans la foule française désordonnées (pléonasme), un homme surtout retient mon attention. Grand, noir, beau, avec de grands yeux sombres et de belles lèvres charnues, une belle allure, un regard chaleureux, un petit sac en bandoulière. Il dit qu’il apprécie la culture locale. Il encense l’efficacité et le pragmatisme des locaux. Loue la beauté de la petite ville côtière dans laquelle il s’est installé. Il apprend la langue locale depuis 4 ans. Un anti-francais en somme.  Je l’observe du coin de l’œil, tentant d’évaluer son âge. Je note qu’il ne porte pas d’alliance. Bim, je tombe amoureuse. Le soleil brille dans la cours de l’ambassade. La queue sans fin me paraît tout a coup moins longue. Je me promet de  visiter la ville où il dit travailler. Il est bibliothécaire. Parfait, j’aime lire. Il aime les enfants. C’est une belle journée…
2 mois plus tard, un fait divers sordide attire mon attention. Un ressortissant français a poignardé et tué sa propre petite fille de trois ans dans un jardin public d’une petite ville côtière. Il ne me faudra que deux clics pour découvrir, à la une des sites qui n’ont que faire de la présomption d’innocence, le visage de l’homme de l’ambassade de France.

Picture: Kalalou

Un jour, j’ai gardé un chat

Affabulations félines

Aujourd’hui ma mère m’a arraché de notre douce maison, ma ficelé avec une drôle de cordelette qui m’empêche complètement de marcher avant de me mettre dans cette horrible boite. J’en suis sorti dans un autre endroit avec plein de gens grossiers et bruyant. Quelle frayeur, j’ai cru que mon petit cœur allait s’arrêter. Je me suis vite caché sous le premier canapé venu. Je n’en sortirai jamais JAMAIS. J’ai entendu ma mère et mes sœurs partir et l’endroit redevenir calme mais rien à faire, je reste caché. Je sais maintenant ce qu’à du ressentir le petit poucet lorsque sa mère l’a abandonné dans la forêt. Mais, attendez. Est-ce le doux bruit des croquettes craquantes que j’entends ? Bon d’accord je sors mais je mange et je me cache aussitôt. Ici, ça craint. VDM.

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Matin bonheur

Affabulations hormonales

6h58 : réveil doux 2 minutes avant l’alarme. La nuit fut calme. Elle se termine sur une histoire intrigante mais très vite vaporeuse de chinois et de nouvel an (chinois donc) et je me sens bien. Pour la première fois depuis longtemps, mon moustique de compagnie m’a laissée dormir toute la nuit et les températures nocturnes ont été douces. Pas de pieds qui brûlent en rêve comme ce fut le cas ces dernières nuits où le thermomètre a frôlé les extrêmes. Je me dis qu’il est tôt et que je peux traîner un peu au lit. La hâte de voir ou en est le temps m’en sort finalement rapidement. Étirements. Ouvrir la fenêtre au soleil pétillant. La journée s’annonce radieuse. 

J’ai la tête pleine de « La Bella Cubana » de José White Laffite que j’ai joué avant de dormir, je décide que j’ai un peu de temps et j’équipe le violon resté sur la table du salon. Mentonnière. Sourdine. Tension de l’archet. Colophane. Je reprends sans me décourager la partie difficile. Ça s’améliore un peu on dirait. Et mon démanché surtout prend de la gueule. C’est encore embryonnaire mais suffisant pour ce matin. Joie. Petit déjeuner léger, c’est l’été mon appétit est au plancher comme tous les étés et je n’ai envie que de choses sorties du frigo. Yaourt turc très glacés. Abricots gardés au frigo. Un peu de miel. Salle de bain, douche rafraîchissante, coiffée en un tour de main. Même mes cheveux coopèrent. C’est ma journée ! Je suis heureuse et ma vie est belle, je n’ai pas de raison de me plaindre à cet instant précis pensé-je en me regardant dans la glace. C’est un moment parfait. C’est beau d’être une femme. La partie analytique de mon cerveau se sent alors obligée d’analyser mon petit bonheur « Ben oui, c’est comme ça tous les mois à la même période. Tu es pleine de d’œstrogènes ma fille. Tu vas ovuler sous peu. Tu veux plaire, donc ton cerveau t’envoie une image plaisante de toi même. C’est tout, c’est chimique. Alors c’est bon hein… ta mélodie du bonheur. » La partie candide et empirique de mon cerveau réplique dépitée « Mais non, c’est peut-être le début d’un bonheur permanent et sans fin. Accroche-toi à cette idée ma chère amie! » Mon regard accroche le miroir. J’attache un mince bracelet en argent á mon poignet. Je pressens le moment ou tout ça va retomber comme un soufflé. Boucles d’oreilles. Mon cerveau analytique reprends de plus belle « Et puis tu verras dans quelques jours, tout va changer et tu vas en baver ma fille. Tu vas avoir l’impression encore une fois d’être un torchon, un brouillon, que la confusion règne dans ton cerveau, que la vie ne sert à rien et que tu es laide comme un pou. Par un simple renversement d’hormones. Tu n’es que le pion du petit jeu de tes glandes hormonales. Ahahah ! (diabolique) »
Je mets fin à la conversation avec moi-même. Carpe Diem et fuck les neurones. M’habille, enfourche mon vélo, pédale avec entrain. Mon analyseur cérébral reprend la parole « Que serais tu sans ces hormones? Elles font partie de toi et te définissent quelque part, elles fondent tes émotions, Mais est-ce vraiment toi? Deviendrais-tu toi si on les faisait taire ? » Je pédale de plus belle pour faire taire ce salopard qui m’embrouille dès le matin et cherche à tuer dans l’œuf mon p’tit bonheur. Trêve de science ! Mais je ne peux m’empêcher de me demander, Que serais-je sans ces hormones ?  Un peu plus moi ? Ou totalement quelqu’un d’autre?  

photo: Kalalou

T.E.R

Affabulations bretonnes.

– « Vous êtes née où ? »
– « A Oran, En Algérie « 
– « Et l’adresse sur vos papiers, c’est toujours la bonne ? »
– « Ouais. »

La femme contrôleur repart en pianotant sur son gros appareil portable dans lequel elle a enregistré l’amende. La femme d’Oran, une européenne à la cinquantaine incertaine, canne, rangers, sac militaire, petit sac a main en tissu sur lequel est cousu un mandala se maquille un peu, marmonne :
« -Pire que la police. » Puis, elle se recoiffe lentement et s’installe pour méditer, pieds parfaitement parallèles, bien posés au sol, mains posées l’une sur l’autre, dos droit, yeux clos. Finalement, se roule boule et dort jusqu’à son arrêt. Elle a gardé la souplesse de ses 20 ans. Je fais mine de lire « Petits suicides entre amis » de Arto Paasilinna mais déjà, mon imagination m’éloigne des dépressifs. J’imagine la vie de cette femme. Est-elle enfant de pieds noirs ? A t-elle dû fuir l’Algérie pendant la guerre ? S’endort-elle tous les soirs en revoyant en rêve des hommes mourir ? Elle se lève, s’étire comme un chat noir après une sieste dans une armoire et, ramassant son sac à dos de toile, descend du train à quai. 

Entre alors la malchanceuse, qui prend la place de la femme d’Oran. Femme pimpante et consciencieusement maquillée d’une 50aine d’année. Elle me regarde avec insistance tandis que j’essaie de me replonger dans ma lecture. L’envie de me parler lui brûle les lèvres. Elle veut me raconter qu’elle a cassé une vitre d’armoire ce matin, que, Dieu merci, ce n’était pas du cristal mais quand même ça fait quand même un bon paquet de malheur. Une femme défoncée l’a haranguée à la gare en lui demandant « pourquoi vous me traitez de déchet » alors qu’elle ne lui avait adressé ni regard, ni le moindre mot. Il est des silences plus éloquents que des mots peut-être. La défonce permet de mieux les traduire en mots sans doute. La femme pimpante n’est pas du genre à se laisser faire et elle aura répondu qu’elle n’hésiterait pas à appeler la police, avant de monter à bord rapidement tout de même. Elle s’est sentie agressée. Elle a réalisé plus tard que la femme défoncée l’avait suivi dans le wagon. Après de nombreux aller-retour la défonce s’est installée en face d’elle cigarette au bec, lui lançant quelques regards vengeurs, avant de partir comme elle était venue, lâchant en passant quelques nuages de fumé dans tout le wagon non fumeur. La pimpante malchanceuse me raconte maintenant, vide son sac avec la gourmandise de celles qui ont gardé les mots trop longtemps. Le temps d’un Lorient-Rennes en TER. Elle a deux filles jumelles qui ont eu la mauvaise idée de tomber enceinte pratiquement en même temps. L’une d’elle a eu le malheur d’avoir des jumeaux. Elle ne sait plus où donner de la tête. Comment a-t-on pu lui faire autant de petits enfants d’un seul coup ? Comment peut-on faire autant de petits garçons ? Elle n’y connait rien en garçons, c’est peu pratique. Elle doit courir d’un point à l’autre de la Bretagne. Une de ses jumelles, la première á avoir montré le bout de nez il y a 27 ans, avait un très bon travail à Paris, mais elle a tout plaqué par amour et vit maintenant en Bretagne sans travail et avec un petit en bas âge. Par amour. Comment peut-on partir par amour quand on gagne bien sa vie Paris ? Elle savait que cette petite impatiente depuis la naissance lui causerait des problèmes plus tard. Elle se sait dans une mauvaise passe et cette histoire de miroir brisé n’arrange rien. Je l’écoute, je sens qu’elle a besoin d’attention. Ses problèmes seront un peu moindre une fois racontés peut être. Je range discrètement « petits suicides entre amis » et lui tend une oreille discrètement amusée. Je sacrifie Arto Paasilinna sur l’hôtel de la compassion attentive. J’attendrai un peu pour savoir ce que décide de faire ce groupe de suicidaires finlandais.

A Auray, monte alors le père, un chapeau melon sur la tête et sur le visage la lourde charge de la paternité. Ce poupon à convoyer jusqu’à Rennes. Son bébé. Peut-être va t-il pleurer en cours de route. Aura t-il faim ? soif ? de la merde orange et collante aux fesses ? une simple envie d’entendre sa propre voix ? Dans le landau démodé aux roues dégonflées qu’il pousse énergiquement sommeille le petit. Calme jusqu’ici. La responsabilité s’est brutalement installée avec ses valises sous les yeux du père. Il se lève pour le biberon, se lève pour le rot, serre contre lui ce petit être dont la vie ne dépend que de lui, marche encore et encore pour éviter les pleurs dans le wagon filant dans la campagne bretonne, le regard dans le vide. Je l’observe depuis mon siège tel un metteur en scène Parisien en manque d’inspiration, d’un œil attentif et compatissant.

Conseil pour correctement faire l’amour dans une yourte mongole traditionnelle

 L’amour en yourte nécessite un petit entrainement et quelques conseils que je m’en vais vous donner ci-après :

–          Afin d’éviter de faire l’amour avec un bleu, une bosse et une migraine, n’oubliez pas de baisser franchement la tête pour pénétrer dans une Yourte mongole

–          Placez le lit au milieu de la Yourte. Évitez de le placer dans un angle sous la pente toit, afin de limiter le risque de fort désagréable de nouveaux coups et de bleus d’amour contre la charpente. N’hésitez pas à déplacer le lit si sa situation vous paraît pouvoir compromettre votre petite entreprise

–          Ne vous déshabillez entièrement qu’en cas d’absolue nécessité car la température dans une Yourte non chauffée, au printemps est généralement des plus faibles. Prévoyez une couette quelque soit la saison. Prévoyez du fervex ou du dolirhume en hiver ainsi que des petits carrés de camphre alcoolisés. En cas de Yourte chauffé, vérifiez que votre système de chauffage est adapté et que êtes correctement assurés

–          Si vous êtes dans une période de veine totale, un éclairage romantique à la bougie peut être envisagé, mais gare ! Ne les placez pas trop près du lit, afin d’éviter tout incendie de drap, de corps ou de cheveux (surtout si vous avez les cheveux crépus nourris au beurre de karité). Certaines Yourtes sont, en effet, dépourvues d’électricité (la pile électrique est préconisée en cas d’assurance premier prix ou de déveine congénitale)

–         Evitez de balancer trop loin du lit les quelques habits que vous serez dans l’obligation de retirer. Auquel cas, dans le noir, vous pourriez être dans l’incapacité de les retrouver afin de sortir décemment drapé de votre dignité lorsque le feu se sera déclaré (une culotte noire à chercher dans le noir, ce n’est pas une sinécure). => Ce conseil m’amène à vous encourager à ne pas porter de sous-vêtements noirs le jour où vous déciderez de faire l’amour dans une yourte dépourvue d’électricité.

Finalement, et vous en conviendrez, il y a en France des centaine d’endroits plus adaptés qu’une Yourte mongole traditionnelle pour faire l’amour.

Photo de De Lemster Krant sur Pexels.com

Croire

8.4.13

Affabulations dogmatiques

Line croyait en la science et aux hommes politiques « prestigieux ». Lorsque les images de DSK menottes aux poignets arrivèrent d’Amérique, elle me dit, outrée : « Comment peut-on traiter ainsi un tel homme ?!». Elle manqua de s’étrangler lorsque je lui répliquai que s’il était effectivement coupable d’un acte puni par la loi, qu’il soit traité comme tous les délinquants/criminels ne me posait absolument aucun problème.
Line croyait en la science. Elle me dit un jour : «  Il est grand temps que la science trouve un traitement à toutes les maladies afin que les braves gens cessent de pratiquer toutes ces occultes et ridicules bondieuseries dans les églises le dimanche matin ».  Je lui rétorquai qu’on n’était encore loin de la panacée et que les croyances des uns et des autres ne regardaient qu’eux, tant qu’elles ne dérangeaient pas l’ordre public. Line croyait en elle-même et avait choisi d’embrasser la carrière de chercheur afin de participer à l’effort collectif de recherche de la panacée.

Sylvain avait une haleine de chacal mort et était un peu croyant. Il avait fait les JMJ, quelques pèlerinages à Lourdes dans le temps et même s’il ne fréquentait plus l’église, il aimait à croire de temps en temps qu’un grand maître organisait toute cette vie là quelque part. De toute évidence, Sylvain ne croyait pas en un quelconque intérêt du dentifrice, et ne vouait aucun culte à la déesse brosse à dent. Sylvain croyait en Line, en son intelligence et en sa beauté qu’il vénérait, et en la nécessité de rire de tout dans la vie, aussi bien des gens que de lui-même. Mais surtout des gens. Surtout des moches et des malchanceux.

Hector, lui, croyait en la liberté. Il la vénérait comme un adepte vénère son gourou et l’avait érigée en grand principe de sa vie de salarié d’une grande banque française. Il répétait souvent : « De toutes les manières, nous sommes libres, hein », comme pour s’en assurer un peu. Il prenait un malin plaisir à hésiter sur le choix de la couleur de sa brosse à dent, à profiter de la possibilité de choisir librement la marque d’une paire de chaussette. Le week-end, il prenait sa voiture et partait dans n’importe quelle direction dans un rayon de 25 km afin d’explorer les environs librement. Il avait acheté un bateau et naviguait dans la rade au gré du vent, tâtait les courants bretons. L’océan, où plutôt la petite mer de Gavres, était un espace de liberté qu’il entendait bien explorer sans limite. 

Mélie croyait en Dieu. Mais pas en n’importe lequel. Le Dieu de l’église catholique des croyants. Le seul Dieu disait elle, le vrai Dieu. Elle avait poussé ses filles à faire de longues études et s’en mordait les doigts car sur le chemin du lycée et plus tard de l’université, elles avaient rencontré des protestants, des athées, des musulmans et des agnostiques qui avaient contribué à leur faire envisager avec une absolue relativité le Dieu catholique unique et absolu perché sur une croix de bois qu’on leur avait appris à aimer à grands coups de prières et de récitations à genoux durant de longues années de catéchisme.

Marine et Philippe croyaient en leur travail. Il fallait se lever à l’aube, bondir de son lit pour courir au bureau ou devant un ordinateur jusqu’à épuisement. A l’époque où ils travaillaient depuis leur domicile, ils ne prenaient pas le temps de se laver et avalaient rapidement un morceau de pain dur devant l’écran. Ils n’avaient pas le temps d’aller à la boulangerie tous les jours. Ils regagnaient leurs lits à l’aube et étaient levés dès les premiers rayons de soleil pour remplir leurs multiples contrats professionnels.

 Clarisse croyait en l’art. Elle pensait que le salut de l’homme était dans la beauté, que l’art capturait de façon définitive ou temporaire cette beauté, et de ce fait, elle adorait l’art et vénérait les artistes. Elle partait en pèlerinage, d’expositions en expositions, de vernissages en accrochages, dans des queues sans fin devant les grands musées, sous des pluies battantes ou des soleils de plomb. Elle ne voulait rien rater, voulait tout voir et s’extasiait devant les montres dégoulinantes de Dali, avant de prendre l’avion pour admirer une fois de plus les viennois à Vienne et Hopper à New York. Elle pouvait parler durant des heures de l’émotion qu’elle avait ressentie devant le Bouquet d’Iris et des différentes composantes du noir selon Soulages. Car elle en était maintenant persuadée, il y avait dans le noir autre chose que le noir.

 Masami croyait en la société du 21ème siècle et en la mode. Aussi, lorsque Momo, qu’elle avait épousé 10 mois plus tôt, lui demanda de s’habiller « correctement » et de soustraire des regards ses chevilles et ses longs cheveux noirs de jais, elle prit ses jambes à son cou et demanda le divorce, car elle croyait plus à sa liberté vestimentaire de femme qu’aux sentiments que Momo lui portait. Elle parti vivre sa vie de femme libre aux chevilles nues dans une grande ville d’Asie.

 Sonia croyait en son caddie, en son porte monnaie et en la possession. Elle avait la certitude que le salut se trouvait dans un caddie plein pour pas cher. Elle croyait qu’il fallait trouver le bon moyen d’acheter des choses à la mode à bons prix. Elle croyait aux tickets restaurants, aux groupons, aux bons plans. Sa maison était pleine de choses à la mode -car vues à la TV-, qu’elle se targuait d’avoir eu en promotion, en solde, au rabais. Elle avait l’impression de narguer la société de consommation en sortant des grands magasins le chariot plein à ras bord de choses à prix défiant toute concurrence. La consommation était sa religion. Il y avait des obligations sociales que seul le porte monnaie permettait de satisfaire. Elle croyait qu’on ne pouvait pas vivre honnêtement sans table de salle à manger avec un plateau en verre, sans chaises en fer forgé, sans buffet bas et table basse en bois, canapé en cuir, rollers Hello Kitty pour la petite et polos Eden Park pour son homme.

 Viviane ne croyait qu’en l’homme et aux relations humaines. Seule l’humanité trouvait grâce à ses yeux, et elle ne croyait pas que les relations pouvaient s’envisager ailleurs que dans le cadre des relations sociales codifiées. Avec ses voisins, elle croyait devoir avoir des relations de voisinage, avec ses collègues, des relations de travail, avec son amoureux, des relations d’amour. L’art ne lui disait rien, la nature était le simple cadre des relations humaines, un cadre inerte et sans importance, dans lequel se mouvaient les hommes, seules créatures vivantes trouvant grâce à ses yeux.

Tiphaine croyait en l’écologie. Elle pensait que la vie devait être recyclage et pesée des déchets. Elle recousait les boutons, reprisait les chaussettes, fabriquait des meubles en bouchons en plastique, ne jetait rien, classait tout, réutilisait jusqu’aux filtres à cafés usagers qu’elle collait sur des meubles en carton. Elle croyait que l’humanité ne pouvait être sauvée qu’en mangeant bio et en achetant des chaussures en matériaux recyclés. Elle s’était faite locavore, puis végétarienne, puis biovore, puis végélocabiovore. Elle méprisait ouvertement les pollueurs polyconsommateurs, qui se pavanaient au volant de 4X4 polluants en pleine ville. Elle n’allait pas dans les supermarchés et considérait ceci comme un véritable acte politique. Elle courrait de marché en marchés, de brocantes en brocantes et de salon de la récup en journée de l’écologie.

A quoi croire?

Photo: Kalalou

Violence vestimentaire

Affabulation vestimentaire

Certains matins, je me dis en sortant que si la brigade de lutte contre la violence vestimentaire existait et était de sortie, je serais certainement emprisonnée à vie. Il m’arrive parfois d’être un outrage à la mode publique par étourderie ou par fainéantise (j’attrape les hauts de piles sans passer par la case miroir). Non, sans blague, peut être qu’un jour la notion de crime contre la mode existera et que des flics traqueront des chaussettes à petits cœurs chez les plus de 30 ans et les désassortiments en tous genres. Le terme fashion victim existerait alors au sens propre…

Imaginez la scène.
Je sortirais de chez moi avec des leggings noirs trop courts laissant apparaître mes molets non épilées, un tee-shirt informe rose pastel à col droit sous une veste corail, drapée de mon vieux manteau chiné difforme. Aux pieds une paire de tennis agrémentée de chaussettes rayées noires et blanches bien apparentes. Je serais mal réveillée, je serais blasée, je serais pressée, je serais sans excuse. Bref, ainsi accoutrée, je prendrais le chemin de la boulangerie, en rasant un peu les  murs quand même, consciente de mettre en jeu ma réputation dans mon petit quartier.

Un agent en uniforme s’approcherait de moi : 

– « Madame s’il vous plait, vos papiers ».
– « Mes papiers ? Mais j’ai juste mon porte monnaie, je n’ai pas mes papiers, je vais juste à la boulangerie, là au coin de la rue », j’accompagnerais la parole au geste et sortirais de la poche difforme de mon manteau façon cape de Zorro le porte monnaie orange fluo en silicone offert par ma cousine l’année dernière (très pratique pour l’identifier au fond du sac plein).
-« Madame, je suis obligée de vous conduire au poste, vous avez commis une grave infraction, je vous embarque pour trouble à la mode publique. Vous avez le droit de garder le silence et d’attendre votre avocat » dirait-il sans lâcher des yeux mon porte monnaie fluo et tout-en-tentant-de-garder-son-calme. 

De telles pensées ne peuvent émerger que l’on lorsque l’on habite Paris.

Dans le creux de mes reins

Je me couchai comme toujours avec mon éternel et somme toute amical petit spleen serré contre mon sein et ma mélancolie chevillée au corps. Rapidement, le sable d’un généreux marchand emplit mes paupières et me brouilla le regard, faisant se mouvoir et trébucher follement les lignes de mon roman du soir. Je sentis ma tête, de plus en plus lourde, s’enfoncer dans l’oreiller moelleux et mon corps se perdre dans les draps frais.
Cette nuit là, je dormis comme une enclume.
Devant le jour, j’émergeai des bras de Morphée.
Un chasseur avait visité mon sommeil. Mon petit spleen était ensanglanté aux pieds de mon lit, les jambes repliées sous lui dans une étrange posture de supplication, les yeux révulsés, la bouche béante laissant échapper un filet de bave épaisse. Ma mélancolie strangulée gisait de tout son long sur le tapis de laine blanche et moelleuse, la tête auréolée d’une large tache de sang carmin, les yeux clos, les mains jointes.
Un petit bonheur se serrait dans le creux de mes reins.  J’eus un petit rire cristallin, léger, comme je n’en avais pas eu depuis longtemps. Je m’habillai prestement, avec une hâte de croquer la vie qui m’avait depuis longtemps désertée. J’appelai mes amis, mon exil en Nostalgie était terminé, le cœur léger, je revenais parmi eux. Une étrange petite musique me parvenait de je ne sais où, semblant vouloir rythmer mon allégresse. Elle était de plus en plus forte et intrigante et entêtante. Il était 7 h 00 et la sonnerie du réveil m’arrachait de mes délicieux rêves ensanglantés.

Picture: Kalalou. KhoKho René Corail, exposition sous la direction de Renée Paule Yung Hing, Conseil Régional de la Martinique, Décembre 2008

Le sel de la Terre

A certains endroits de la côte, le bruit de la mer, assourdissant, n’est pas favorable à la réflexion. Les vagues indomptées s’écrasent avec fracas sur la plage et couvrent et interrompent la moindre pensée. La mer sauvage se bat avec les falaises, tourmente violemment les anfractuosités des rochers, malmène les galets en les entraînant dans des corps á corps humides perdus d’avance. Les gens de ces coins sont des épicuriens au sens brut du terme. Ils profitent du moment, satisfont leurs besoins végétatifs sans pouvoir à aucun moment projeter ou planifier plus loin que la fin de la journée que le Bon Dieu fait. Toute pensée construite est interrompue par la mer, qui ne leur laisse aucune chance de structurer la moindre réflexion. Parfois partis dans un but précis, ils se retrouvent, errant dans les rues, incapables de se rappeler l’objectif de leur sortie. Nuit et jours, les habitants de cette bourgade se battent contre elle, et tentent d’étouffer son vacarme en bâtissant les murs sans fenêtre sur les façades des maisons qui lui font face, mais elle n’en a cure : elle s’infiltre sous les portes, par les interstices, par les coins et recoins, se faufile dans les fissures et leur éclate en pleine tête, dans un bruit sourd d’eau fouettant le sable noir. Beaucoup ont quitté ces contrés, désespérés par cet inégal combat perdu d’avance. D’autres, se sont résignés à vivre à la seconde, dans un état quasi végétatif, conférant à ce coin sa réputation, désormais connus au-delà de l’océan : les gens de cette bourgade sont le « sel de la terre ».

Kalalou

Quai Branly

Je suis dans le métro. En face de moi, trois hommes.

Le premier, noir, aux jours rondes à la tête en forme de poire. Il semble lire ou écouter quelque chose de drôle. Ou peut-être a-t-il le visage naturellement débonnaire et les yeux naturellement souriants. Il respire la bonne humeur. Il a les cheveux crépus, coiffés en arrière, qui mettent en valeur son visage aux traits fins. Plutôt mignon. Je l’imagine célibataire, entouré d’amis sincères qu’il aurait connu en primaire. Je ne peux pas voir ce qu’il lit et cela m’embête assez. Je l’imagine lisant un livre que j’ai récemment aimé, « l’élégance des hérissons », par exemple. Sans aucun doute, écoute-t-il burn one down (Ben Harper), qui correspond á mon humeur du moment.

Le second homme est blanc, maigre, grand, brun, barbu aux cheveux longs, aux mains immenses, aux doigts sans fin. Il a l’air tranquille mais un peu anxieux de Jésus apprenant que Judas va le trahir. Calme mais un peu embêté quand même. Il ferme les yeux, désolé par la nouvelle de la trahison, me permettant de l’observer à ma guise. Il n’est pas laid, juste très maigre, aux joues très creuses. A 32 ans, il a dû enfin quitter la maison familiale et se retrouve pour la première fois tout seul près de Paris. Il doit manger, quand il y pense, des haricots verts en conserve à même la boite. Une fois par semaine, deux pauvres sardines à la tomate doivent peut être égayer son triste repas. A même la boite aussi. J’aimerais bien pour mon récit, qu’il soit désespérément amoureux à en crever d’une fille qui ne lui adresse pas un seul regard et qu’il croise tous les matins et tous les soirs dans le métro place d’Italie. Une fille vaporeuse, aux joues rondes (elles s’emboîteraient alors parfaitement dans ses joues creuses). Une fille gaie et insouciante, qui sourirait tout le temps et dont il rêverait sans cesse, les yeux ouverts ou fermés, se brûlant le matin en se versant le café bouillant sur ses doigts interminables.

Le troisième homme, blanc, à une coupe en brosse et les petits bleus yeux brillant d’un hyperactif dépassé par sa suractivité. Il bouge sans cesse, parle à son ami assis en face de lui, porte une oreillette, et ne voudrait pas rater un appel téléphonique urgent. Tous les appels téléphoniques sont urgents. L’urgence est le nouveau normal. Sa mère lui annonçant que la chienne des voisins a mis bas de 5 petits chiots, son amie lui demandant s’il préfère les nouilles aux spaghettis. Tout dossier doit être traité sans délai. Je suis d’accord, les nouilles et les spaghettis n’ont vraiment pas du tout le même goût.

Je reviens du Musée du Quai Branly. Cette petite sortie a soulevé de nombreuses interrogations. Je me suis sentie mal à l’aise au début, pensant que toutes ces amulettes, ces masques, ces statuettes funéraires ont un sens que nous ne comprendrons jamais malgré les explications écrites sur les murs du musée. Ne seraient-elles pas mieux dans un musée d’Océanie, d’Amérique du sud ou du Bénin, où nous pourrions aller les voir, accompagnés par des guides vivant leur récit ? Ce que nous percevons comme de l’art, correspond, au Togo, au Bénin á des fétiches et des amulettes bien vivantes qui ont leur utilité sociale, leur réalité qui nous dépasse, leur fonction et n’ont pas pour but originel d’être exposé dans des musées. J’ai la triste impression que tous ces objets n’ont pas leur place ici. Que conserver ces trésors anthropologiques et ethnologiques dans les grandes capitales européennes sous-entend que l’on considère que leurs contrées d’origine ne sont toujours pas assez responsables, pas assez éclairés, pas assez conscientes de l’importance de leur culture et de leur histoire pour en prendre soin. De pauvres hères que les lumières européennes doivent encore guider en somme.

La muséographie est pourtant parfaite. Le bâtiment magnifique. Le mur végétal m’a impressionnée et le jardin, même en ce début d’automne, m’a subjuguée. A l’intérieur, les lumières sont savamment installées. La succession de grottes et pièces claires met parfaitement en scène des pièces magnifiques. J’ai continué la visite avec intérêt quand soudain, j’ai réalisé que certes, certaines pièces ont été offertes à de généreux donateurs qui en ont fait dont au musée. Qu’en est-il de celles ramenées par les missionnaires et les colons partis forcer, dans la violence, les habitants du vieux continent et des « nouveaux mondes » à devenir chrétien ? Certaines pièces viennent de la dernière exposition universelle. J’ai inconfortable sensation que ce musée tente légitimer le passé Colonial français. D’un autre côté, il permet aujourd’hui à la France actuelle multi-ethnique et multi-culturelle de découvrir un peu d’elle même. J’ai observé quelques minutes, quelqu’uns de mes co-visiteurs parisiens. Celle-ci note tout avec passion, dessine sur une petit carnet un masque mortuaire du Mali, une statuette du Dahomey. Celui-là sort en disant « dégueulasse » de la salle où est projeté un mini film sur les sacrifices animaux lors des rites initiatiques camerounais.
J’ai quitté ce musée partagée, pleine d’interrogations. Que doit-on trouver au quai Branly ? Où doit-on mettre la limite entre l’art et l’éthique ? L’éthique consistant pour moi à ne pas se vanter d’avoir des objets volés ou arrachés ou achetés pour une pauvre bouchée de pain ou quelques verroteries aux peuples que les grandes puissances européennes ont colonisé et christianisé, souvent dans le sang et la guerre, la soumission et l’oppression. Une absurdité me traverse l’esprit. C’est du fait même de la christianisation que certaines religions animistes sur lesquelles se basent ces masques ont presque disparu. Après avoir détruit ou oppressé ces cultures, pillé les éléments rituels, l’on se vante, aujourd’hui de posséder de rares artefacts que l’on se presse d’exposer.

Jean-Yves Marin, directeur du Musée d’art et d’histoire de la Ville de Genève, soumet quelques éléments de réflexion sur la place de ces oeuvres dans « Le monde » daté d’il y a quelques jours ; voilà quelques extraits de l’article : 

« (…) Le patrimoine historique et artistique des pays colonisés représente l’une des plus grandes spoliations culturelles de l’histoire. Les spécialistes connaissent le nombre et l’importance scientifique de ces objets d’histoire engrangés aujourd’hui (le plus souvent dans de bonnes conditions) dans les musées et bibliothèques des villes européennes et sur lesquels règne un silence pudique mêlé d’hypocrisie. Paris est, avec Londres, le lieu principal de thésaurisation des biens culturels du monde colonial obtenus le plus souvent sous la contrainte ou par de fausses promesses de restitution, telle la pierre Lyre qui trône aujourd’hui dans le hall du Musée du quai Branly, empruntée par la France pour trois ans en 1956… (…) Mais soyons clair, il ne s’agit pas de rendre pour rendre, d’oublier que la circulation des œuvres d’art participe de la culture universelle et que l’harmonie entre les peuples implique d’aller vers la civilisation de l’Autre. Il s’agit pour chaque communauté, chaque peuple de pouvoir restituer son histoire et d’exposer des objets les plus emblématiques, la diversité culturelle commence là ! Un peuple sans histoire ne peut se renouveler et est condamné à disparaître. (…) Partout dans le monde (…), il se construit de nouveaux musées qui lentement s’éloignent du modèle occidental. Une muséographie originale plus proche des citoyens émerge partout et se trouve entravée par l’absence d’objets d’histoire retenus en Europe où souvent ils n’ont même jamais été présentés au public. (…) L’universalité du musée n’a de sens que si elle se comprend comme un concept de partage et non comme une autojustification du droit du plus fort à disposer des collections historiques et artistiques du plus faible. La tentative malhabile de quelques musées se qualifiant de « grands musées à vocation universelle » pour conserver jalousement leurs collections n’est qu’une forme nouvelle du vieux discours colonial. L’exemple de la restitution des biens juifs spoliés durant la seconde guerre mondiale montre que, même tardivement avec une volonté politique forte et beaucoup de professionnalisme, il est possible d’agir et de trouver des solutions satisfaisantes pour les parties prenantes. (…) La restitution pour réussir doit demeurer une affaire de professionnels de musée. Face aux blocages d’un autre âge que l’on trouve encore parmi les conservateurs, le risque est grand de voir le monde politique s’emparer d’un tel « levier » et de voir des collections partir dans n’importe quelle condition pour aider à la vente d’un TGV ou d’un Airbus comme le pratique déjà Silvio Berlusconi en Italie… Il appartient au professionnel de musée d’être une force de proposition pour qu’enfin l’universalité du musée soit une réalité. Il serait à l’honneur de la France d’être la première puissance coloniale à rendre aux anciens pays colonisés les objets et œuvres d’art nécessaires à la construction de leur identité nationale. »

De crins et de cordes

Il y a quelques années, violon avec Patrick.

Comme à mon habitude, j’ai bien peu et bien mal travaillé.
En réalité, je n’ai rien préparé.
Je trime, soupire, reprends la ligne, oublie les dièses, gobe des bémols.
Les notes dansent devant les yeux me narguent, s’amusent de mon tourment
Et je massacre sans vergogne aucune l’Aria de Bach.
Avec l’application d’une écolière zélée,
j’achève le morceau, mi essoufflée, mi éberluée par ma dramatique performance.
La mâchoire crispée par les lamentations de ces pauvres cordes que j’ai frottées avec la rage du cancre,
je me tourne vers Patrick,
dont l’unique œil me fixe d’un air stupéfait,
impression confirmée lorsqu’un soudain coup de tête
libère son second œil de la prison de son épaisse mèche poivre et sel,
découvrant son regard médusé,
effaré et estomaqué.
Il trouve et capture mon petit regard honteux et fuyant,
avant de lancer:
« Ma chère, je crois que tu viens de tuer Bach une seconde fois »

Author unknown any information appreciated. Thanks.

-H-

Affabulations hospitalières           

Murs roses PQ récemment repeints, chaises saumon clair un peu sale, sol moucheté de bleu. Enfermée dans sa cabine de verre, mimant un poisson d’aquarium, elle reçoit, classe, prend les rendez vous, oriente les perdus, rend les résultats. Nous sommes au service imagerie d’un hôpital de l’île. Les infirmières et brancardiers déambulent sans hâte, s’arrêtent, rigolent un peu, cherchent désespérément un dossier perdu (en l’occurrence le mien). On est loin de l’ambiance survoltée d’ « urgence ». Pas d’infirmières courant à poumons brisés dans les longs couloirs à portes coupe-feu, une poche du précieux sang AB- en main, pas d’arrivée triomphale de rein à transplanter in extremis, pas de docteur Carter beau, séduisant ou énigmatique, capable d’empathie sans borne. Ici, les médecins sont plutôt laids, vieux, barbus, d’humeur quinteuse et annoncent la couleur sans état d’âme. Le service est surchargé, dépassé par la vie trop longue ou trop courte, pas le temps d’enrober, c’est : « votre hanche est perdue ». « L’image est anormale, on a aucune idée de ce que cela peut être c’est très certainement grave, en fait, on en sait rien, faut revenir pour d’autres examens ». « vous avez sans doute une septicémie. Oui, liée à l’intervention que vous avez subi dans notre établissement ». Apprend t-on à ces médecins le ton à adopter pour annoncer les mauvaises nouvelles ? Y a t-il, en faculté de médecine, des cours de « ton et rythme du drame »? On imagine sans peine des crescendos dramatiques :
– « il est mort »
– « il n’a pas survécu »
– « il a lutté jusqu’au bout »
– « nous l’avons accompagné jusqu’à son dernier souffle »
– « il est parti sereinement – silence – entouré de toute l’équipe médicale »
– « nous sommes navrés d’avoir à vous apprendre qu’il n’est plus. L’hôpital tout entier s’associe à votre douleur… silence… il n’a pas souffert grâce aux antalgiques… nous sommes à votre disposition… »
L’infirmière interrompt mon délire morbide. Je lui reprécise le but de mon attente passive. Mon dossier (datant de 5 jours) n’est toujours pas retrouvé. Et bien il va falloir attendre encore mademoiselle, mais on cherche hein… Oui, hein…
Dans la salle d’attente d’imagerie, point de morts ou de mourant. Un couple portant deux petits nourrissons jumeaux dans deux cosy jumeaux rose et bleu. Ils sont heureux. Deux bébés pour le prix d’un. Sourires et câlineries. Les parents ne cessent de les regarder, ne cessent de tenter de s’approprier, d’apprivoiser ces deux petites vies toutes neuves. Je cherche sans les trouver des cernes dans le visage de poupée de la jeune maman. Elle est fraîche comme une rose, radieuse. La joie semble totalement occulter les nuits forcement blanches et la fatigue du retour à la maison. Les bébés ne disent mot. Je me demande un moment si ce ce ne sont pas en fait deux poupées qui sont dans ces coques de noix. Le futur me répond lorsque quelques instants plus tard une des poupées est extirpée de sa coque pour la tétée. Je guigne subrepticement. Du moins, j’espère. Il est minuscule et tient à peine dans les bras. J’entends deux hoquets, pas plus, deux bruits de suçotement pas plus, deux petits gémissements de plaisir, pas plus. La poupée s’incarne, se personnifie. Je n’ose maintenant plus regarder, j’écoute doucement et j’imagine la transformation de la petite poupée qui, d’un coup, s’impatiente. Cela ne vient sans doute pas assez vite à son goût. Je me figure, dans l’angle mort, le père ébaubi, mains derrière la tête, ému et intrigué. Une gitane en grande jupe à froufrous et paillette dévisage sans vergogne l’assistance (je suis forcément très mal placée pour écrire cela. Mais mon observation discrètement est à visée anthropologique et ethnologique (ahahah, non bien sur je makrèle moi aussi sans scrupule)).
Une jeune fille en sweet rose bonbon et jean seconde peau à strass se plaint de devoir attendre si longtemps à la secrétaire qui « n’y peut rien, désolée ». Mon observation minutieuse des gens qui m’entourent occupe mon temps d’attente. Dans le coin, un couple d’audacieux amoureux se bécotte en attendant de passer à la radio. Madame est légèrement enceinte, monsieur la couve du regard. Rien de laisse présager que nous attendons pour des examens importants, que certains d’entre nous sortirons de cette salle, de cet hôpital le visage déconfit se demandant pourquoi. Pourquoi eux. Je tue le stress en noircissant de façon fébrile mon petit carnet. D’autres, en arpentant le couloir en long et en large. Pourquoi ne retrouve t-on pas ce maudit dossier ? Les deux poupons sont deux petites filles. La maman explique à la gitane potinière qu’une des deux à des difficultés à prendre le sein, d’où leur présence pour des examens. La gitane regarde avec gourmandise l’enfant et la mère. Cette dernière ne semble pas pudique, son sein nu est au vu et su de tous. Il n’y a rien de plus naturel qu’une mère qui allaite son petit après tout. Et les grossesses désinhibent. Je me rappelle ma sœur qui n’osait pas montrer ses fesses à une mouche paradant à moitié nue, exhibant son ventre encore embryonnaire á toute la maison familiale lors des traditionnels repas dominicaux. La métamorphose.
J’attends depuis 2h30 maintenant. La gitane s’est mise à fredonner un petit air. Sans doute un vieux chant gitan, donnant à la scène un petit côté surréaliste. Elle a la tête penchée vers le sol. Le but de sa visite ici lui revient sans doute, maintenant que les poupons en coque se sont engouffrés avec leurs parents dans la salle de radiographie.

Soudain, la mort fait irruption dans la paisible salle d’attente d’imagerie. Paisible en apparence car les idées les plus inquiètes se bousculent dans les têtes des patients. Deux femmes vêtues de noir, soutenant une troisième plus âgée, encore sous le choc. Le deuil se lit dans leurs yeux cernés d’avoir tant pleuré. Venues récupérer les derniers effets. Passées remercier l’équipe de son soutien dans les derniers moments. On se prend dans les bras, on se soutient; on serre très forts les mains. Je me laisse émouvoir face à tant d’empathie. L’humanité, enfin. Le vieil homme avait dû passer beaucoup de temps dans le service pour que le personnel soit si proche de la famille. Et puis la mort repart comme elle était venue, la salle d’attente redevient légère, futile. La fille en strass lâche un petit rire clair.
La salle d’attente se vide petit à petit. Je précise à la 4ème infirmière venant s’enquérir du but de ma présence que mon dossier a été perdu et que j’attends pour passer un examen complémentaire. Je suis maintenant seule dans cette grande salle devenue glauque.

Carte postale ancienne


 

Nos tendres petits matins

        Affabulations aéronautiques      

           Le type saoul converse á bâtons rompus avec sa bouteille de rhum vieux Bally vide, ce rhum que les rhumiers antillais appellent « z’épaules carrées » du fait de sa jolie bouteille rectangulaire. Peu a peu, les sièges se sont vidés autour de lui. Son voisin d’abord, puis les filles assises devant se sont déplacés vers des sièges vides un peu plus loin. Le stress sans doute : il a donc sifflé une entière bouteille de rhum vieux, en plus du quart de litre de vin et de la bière du dîner. Beaucoup ne supportent pas l’avion…
Le prof corrige les brevets blancs de français sur la tablette exiguë. 25 années dans l’éducation nationale et il est toujours surprit de l’imagination et de l’ingénuité de certains élèves. Il faut dire que l’enseignement n’est pas seulement une profession, mais une véritable vocation. Sa motivation ne faiblit pas, malgré le contexte, malgré le carcan de l’institution qui l’a tant de fois trahi. Il est né pour former les jeunes esprits. Echanger avec les jeunes, les voir grandir, s’enrichir, se complexifier, s’épanouir au cours d’une année. 

Je tourne la dernière page de « Un cœur à rire et à pleurer » de Maryse Condé. J’avais vu la pièce tirée du livre jouée au Théâtre municipal par Martine Maximin (actrice. Excellente actrice) et Antoine Bory (musicien multi-instrumentiste). Le livre remet en tête la pièce et fait découvrir les chapitres passés à la trappe lors de la mise en scène. Je crois que je n’oublierai jamais la tête de Martine (Maryse), précisant à sa mère que la très blanche Amélie est « son idééééal deeee beauté ». Bribes d’une enfance en pays étranger : le sien. Bribe d’une vie dans laquelle l’espace publique exclu la représentation de ce que l’on appelle les minorités, oú certains enfants n’ont pas de modèles qui leur ressemblent, pas de jouets qui leur ressemblent, oú ils passent leur jeunesse á vouloir être un autre. Gagne à être lu.

J’ai pu dormir de tout mon long dans mes 4 sièges vides, malgré les gloussements incessants du petit troupeau de jeunes assis derrière. La nourriture est de plus en plus infecte dans ces avions, et l’espace de plus en plus exigu. Le gros monsieur aux grosses jambes ne démentira pas. Impossible pour lui de garder son plateau sur la tablette qui n’atteint jamais l’horizontalité à cause de ses jambes Botéro. Les hôtesses sont infâmes et laides. Elles aboient dans les allées un agressif « CAFÉ ! THÉ ! CHOCOLAT ! » dès le réveil, certains répondent du bout des lèvres, d’autres, comme moi, résistent á cette agression en faisant mine de dormir.
J’aime la douceur du matin. L’odeur du thé parfumé à la cannelle et à l’orange. Le goût acide du jus d’orange adoucit par de la purée de banane. Je siffle tous les matins trois grands verres de ce cocktail doux-acide depuis quelques temps.2889756452527754
Le type saoul á poussé á fond le volume de ses amplis. Pratique : tout l’avion peut profiter de sa musique. Ce vol prend des allures surréalistes.
J’aime la douceur des petits matins. Etre réveillée par sa main caressant tendrement ma joue, ouvrir tranquillement les yeux, redécouvrir, chaque matin son visage, son sourire. Lui offrir les miens. S’étirer langoureusement. Poupée de chiffon du matin. Sourire encore. Etre heureuse de t’avoir à mes côtés. Je t’étreins. Traîner au lit. Profiter de l’instant présent, de ce court bonheur, sans entrave. Mettre de la musique. Douce. En ce moment, la voix suave de Sara Gazarek.
9° au sol nous prévient tranquillement le chef de cabine. 9°C !??! Je n’ai qu’un pauvre sweet pour me protéger de ces températures que mon corps a déjà oubliées. Le gars saoul téléphone alors qu’on entame la descente sur la Capitale. « Fasten your seat belt ». L’homme ivre mort vient d’insulter (une sombre histoire de couille) copieusement le steward qui lui demandait poliment (pour changer) d’éteindre son téléphone. The situation is escalating, alors que l’avion descend fermement vers Paris. Le chef de cabine s’approche d’un pas ferme et déterminé pour des explications.
Douceur du matin. Le serrer dans mes bras pendant que l’eau chauffe, que le thé infuse. Pique-niquer dans les draps encore chauds. L’homme ivre essaie maintenant d’atomiser sa tablette, visiblement furieux que le chef de cabine ait trouvé la bouteille de rhum vide sous son siège, et compris dans quel état il devait être.
S’envelopper dans une couverture. Me blottir contre lui. Penser « Je vais être à la bourre au boulot, c’est certain ». Une hôtesse excessivement souriante nous informe, à l’écran de la position des issues de secours. Je n’ai pas le souvenir d’un rappel des règles de sécurité à l’atterrissage lors de mes précédents voyages. Serait-ce une façon déguisée de nous faire comprendre qu’il y a un petit problème et que l’atterrissage risque d’être mouvementé ? Douceur du petit matin. Dernier. Non, avant dernier petit câlin. La tendresse est essentielle á ma sortie d’hibernation. Je suis molle comme un doudou d’enfant le matin, il peut faire de moi tout ce qu’il veut. Le chef de cabine revient faire la leçon au buveur compulsif. Risque de police à l’arrivée ! Menottes et garde á vue. Le type sourit, visiblement fier de lui. L’affaire prend des proportions inattendues. Matins câlins, petit déjeuner. Rien á faire, je suis à 2 à l’heure le matin. Je traîne. Bois mon énorme tasse de thé et mes verres de nectar orange-banane. Doucement, je m’hydrate. Me roule sous les couvertures pour encore 2 minutes, les dernières. Je le regarde, surtout. S’activer, manger, me regarder. Doucement, le sang re-circule dans mes veines. Chaque matin est une lente sortie d’hibernation. Mes paramètres se normalisent, s’affolent quand il me prend dans ses bras. Puis la réalité me rattrape. 8H00. Pas lavée, pas coiffée. Et les vacances sont encore loin ! Le doux petit matin s’efface dans la précipitation. Douche froide. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir me mettre ? La vie, l’agitation du dehors, les enfants fatigués en route pour l’école, les parents angoissés, les bouchons, le stress nous rattrapent dans notre cocon. Même ici. Vite. 8h25, toujours pas prête ! A peine habillée. RFI scande les infos d’un monde complètement fou. Sans ménagement, la guerre en Irak et les guerres fratricides africaines débarquent chez nous, sur fond de réchauffement climatique. 8h40. Dernier baiser sur le pas de la porte, dernière caresse. Encore une journée loin de toi (pas si loin ?! tellement loin). Je suis fin prête, habillée, coiffée (enfin, légère hyperbole), chaussée. Chaussée ? Dernière incursion du doux petit matin. Retour à la case départ, ces confortables et horribles chaussons, ne partiront pas au bureau aujourd’hui.
Le gars saoul s’est calmé. Les mots menottes et police ont du prendre sens dans son cerveau embrumé par l’alcool. On atterri sans encombre dans le frog, Bagdad Café en fond sonore dans les écouteurs.

L’image :  « Dulce Despertar », Marcelino González (Colombia).

Résolutions

Arrêter de trouver le temps long
Cesser d’oublier, la nuit venue, les décisions prises en plein jour
Cesser d’oublier, le jour venu, les rêves caressés la nuit
Soigner mon addiction au chocolat ou alors, assumer totalement mon statut de « femme chocolat » :
(Taille-moi les hanches à la hache
J’ai trop mangé de chocolat
Croque moi la peau, s’il-te-plaît
Croque moi les os, s’il le faut
(…)
Pétris-moi les hanches de baisers
Je deviens la femme chocolat
Laisse fondre mes hanches Nutella
Le sang qui coule en moi c’est du chocolat chaud
!!! (Ruiz, Malzieu)

Commencer à faire des projets pour « maintenant que je suis grande »
Calmer mes tendances lunatiques schizophrènes
Tenter si possible d’essayer d’arrêter d’être « assez souvent en retard » (c’était déjà une résolution pour 2006, et 2005 et 1870…) ou inventer une nouvelle et originale liste d’excuses pour 2007 (beaucoup plus réalisable).
Etre plus ou moins sérieuse
Sinon faudrait aussi que j’arrive, en 2007, pelle mêle, à visiter l’Australie et le Chilie, apprendre l’astronomie et la mythologie grecque et romaine et égyptienne depuis le temps que j’ai pas le temps, à faire du yoga, à épouser le prince charmant, à faire quelques enfants dans la foulée, à faire les randos en forêt enfin, à passer mon niveau 1, à faire plus de sport, à connaitre plus de choses sur les religions, à boire moins de vin rouge, à manger plus équilibré, à proposer ma collaboration aux raéliens pour le clonage, à cesser de prendre la vie pour un bol de toloman. Je le sens, 2007, c’est la bonne année !

kalalou