Le sel de la Terre

A certains endroits de la côte, le bruit de la mer, assourdissant, n’est pas favorable à la réflexion. Les vagues indomptées s’écrasent avec fracas sur la plage et couvrent et interrompent la moindre pensée. La mer sauvage se bat avec les falaises, tourmente violemment les anfractuosités des rochers, malmène les galets en les entraînant dans des corps á corps humides perdus d’avance. Les gens de ces coins sont des épicuriens au sens brut du terme. Ils profitent du moment, satisfont leurs besoins végétatifs sans pouvoir à aucun moment projeter ou planifier plus loin que la fin de la journée que le Bon Dieu fait. Toute pensée construite est interrompue par la mer, qui ne leur laisse aucune chance de structurer la moindre réflexion. Parfois partis dans un but précis, ils se retrouvent, errant dans les rues, incapables de se rappeler l’objectif de leur sortie. Nuit et jours, les habitants de cette bourgade se battent contre elle, et tentent d’étouffer son vacarme en bâtissant les murs sans fenêtre sur les façades des maisons qui lui font face, mais elle n’en a cure : elle s’infiltre sous les portes, par les interstices, par les coins et recoins, se faufile dans les fissures et leur éclate en pleine tête, dans un bruit sourd d’eau fouettant le sable noir. Beaucoup ont quitté ces contrés, désespérés par cet inégal combat perdu d’avance. D’autres, se sont résignés à vivre à la seconde, dans un état quasi végétatif, conférant à ce coin sa réputation, désormais connus au-delà de l’océan : les gens de cette bourgade sont le « sel de la terre ».

Kalalou

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